Cooke-Sasseville : L'art comme miroir déformant de notre société

Dans les salles de l'Espace Quatre Cents, une rétrospective singulière prend vie sous l'égide de Manif d'art. Le duo québécois Cooke-Sasseville y présente une exposition bilan qui révèle l'ampleur de leur démarche artistique, aussi séduisante que dérangeante. Cette exposition offre l'occasion d'explorer la richesse de leur travail collaboratif, combinant installations, sculptures et mises en scène visuellement frappantes.

Un monstre à deux têtes

« Naturellement, c'est comme si Cooke-Sasseville était devenue une entité qui a sa propre existence, qui n'est pas Jean-François Cooke et Pierre Sasseville, mais qui est Cooke-Sasseville », confie l'un des artistes. Cette fusion créative leur permet d'explorer des territoires qu'ils n'oseraient peut-être pas aborder individuellement. « On a créé un monstre. Dans ce sens-là, on dirait qu'on le voit aller et qu'on ne le contrôle pas. »

Cette dynamique de duo nourrit un processus créatif unique, basé sur l'échange constant et une certaine forme d'humilité. « Étant deux, on n'a pas le choix d'arriver à une symbiose, à quelque chose qu'on va se dire 'OK, là, ça marche, on fonce', puis ça donne des frissons quand ça arrive », expliquent-ils. Leur méthode de travail repose sur cette complémentarité qui donne naissance à des œuvres marquantes et singulières.

L'art de la rencontre improbable

Dès les premiers pas dans l'exposition, on est frappé par la puissance visuelle des œuvres. Le duo joue sur les antinomies, créant des rapprochements d'objets qui, a priori, ne devraient pas coexister. « On joue beaucoup sur l'antinomie, sur le fait de mettre en relation des choses qui, a priori, ne devraient pas exister ensemble. Jouer sur les échelles, détourner le sens d'objets qu'on associe qui peuvent avoir une charge symbolique », explique le duo.

Ce jeu de contrastes et d'échelles révèle un univers où la beauté formelle devient le véhicule d'un message plus sombre. « On aime jouer justement sur ce côté un peu de piège visuel où nos œuvres sont séduisantes, attirantes. Mais qu'en arrière, il y a ce discours-là qui traite de la violence, parfois de l'abus, parfois de la dissimulation. »

Les installations présentées dans l'exposition illustrent parfaitement cette approche. Les artistes jouent avec les proportions, les matériaux et les symboles pour créer des tensions visuelles qui invitent le spectateur à questionner sa perception première. L'esthétique léchée de leurs œuvres contraste souvent avec la profondeur des sujets abordés.

Un réalisme sombre sans jugement

Les artistes cultivent un regard froid mais non dénué d'empathie sur notre société. « On présente, parfois d'une façon très crue ou très cynique, un regard froid... Je ne dirais pas fataliste, mais avec un réalisme sombre », précisent-ils. Cette approche leur permet d'aborder des thèmes universels mais traités de façon très personnelle.

Les références à l'univers politique, environnemental et social sont nombreuses dans leur travail. « Il y a évidemment des références à l'univers politique, à la façon de présenter des réalités de manière positive, mais qui au final vont être négatives pour les gens qui vont les vivre. Il y a un lien évident avec l'environnement aussi, avec le fait de masquer, de transformer, de dissimuler. »

À travers leur travail, Cooke-Sasseville aborde les contradictions de notre société contemporaine : la tension entre le naturel et l'artificiel, entre l'apparence et la réalité, entre le discours institutionnel et son impact réel sur les individus. Leur art devient ainsi un miroir déformant qui nous renvoie, de façon à la fois esthétique et critique, les paradoxes de notre monde.

Provoquer sans choquer

Malgré la charge critique de leurs œuvres, le duo rejette l'idée de provocation gratuite. « On ne fait pas des œuvres qui peuvent être dérangeantes juste pour le fait de déranger. C'est parce que le discours fonctionne », insistent-ils. « L'idée de se censurer, il faut d'abord qu'on ait l'intention de choquer. Et nous, tout ce qu'on présente, souvent on dit, on ne prétend pas avoir raison dans ce qu'on soulève comme questionnement, on fait juste démontrer les choses. »

Cette nuance est importante pour comprendre leur démarche. Ils ne se posent pas en juges, mais en observateurs. Leurs œuvres, bien que traitant de sujets parfois difficiles, restent accessibles à tous les publics. « Il n'y a aucune de nos expos, aucune de nos œuvres qui n'est pas présentable à des enfants. L'horreur est plus dans la réalité que dans la façon dont nous, on la représente. »

Cette accessibilité constitue l'une des forces de Cooke-Sasseville. Leur travail s'adresse à un large public, tout en conservant une profondeur conceptuelle qui satisfait également les amateurs d'art contemporain les plus exigeants. C'est cette capacité à créer des œuvres à plusieurs niveaux de lecture qui caractérise leur approche artistique.

Une invitation à la réflexion

En fin de compte, l'exposition à l'Espace Quatre Cents est bien plus qu'une simple rétrospective. C'est une invitation à questionner notre rapport au monde, à travers le regard unique et déstabilisant de Cooke-Sasseville. « Nous, ce qu'on veut, c'est stimuler des réflexions », concluent-ils.

L'exposition permet d'apprécier comment, à travers les années, ces artistes ont développé un langage visuel cohérent pour aborder les contradictions et les paradoxes de notre société. Leur œuvre nous invite à regarder au-delà des apparences, à questionner l'évidence et à réfléchir sur notre place dans un monde complexe.

Ne manquez pas cette occasion de découvrir ou redécouvrir l'univers fascinant de ces artistes québécois, dont la pratique collaborative continue de surprendre et d'interroger notre société contemporaine. Récipiendaires de nombreux prix, notamment celui du Mérite d'architecture de la Ville de Québec, catégorie Œuvre d'art (2018), leurs œuvres font partie de plusieurs collections prestigieuses, entre autres celles du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée d'art contemporain de Montréal, et du Musée de la civilisation.

Photos : Marc-Antoine Hallé